Plasmas spatiaux

Le vent solaire

La vitesse de libération du Soleil s’écrit :

(1)   \begin{equation*}V_L = \sqrt{\frac{2 \mathcal{G} M_\odot}{R_\odot}} \sim 600 \text{ km/s}\end{equation*}

On peut comparer cette vitesse à celle du son calculée dans la couronne solaire, composée majoritairement d’un plasma d’hydrogène où règne une température de l’ordre du million de Kelvins :

(2)   \begin{equation*}C_S  = \sqrt{\frac{\gamma k_B T}{m_p}} \sim 100 \text{ km/s}\end{equation*}

Le Soleil est majoritairement composé d’hydrogène. Nous venons de montrer avec des arguments simplistes que, pour qu’un proton puisse s’échapper de l’attraction gravitationnelle du Soleil, il doit avoir une vitesse largement supersonique. Et en effet, il existe un flot continu de plasma s’éloignant radialement du Soleil à des vitesses supersoniques, que l’on appelle le vent solaire.

On peut le vérifier, en temps réel, ici : https://www.swpc.noaa.gov/products/real-time-solar-wind
Les données affichées ici sont mesurées au point de Lagrange L1 par le satellite DSCOVR. Le point de Lagrange L1 est un point « fixe », où un objet peut se maintenir en équilibre sous les influences gravitationnelles du Soleil et de la Terre. Il est donc, à l’échelle astronomique, bien plus proche de la Terre que du Soleil.
La vitesse, affichée en violet dans le panneau 4, et la température, affichée en vert dans le panneau 5, devraient permettre aux courageux de vérifier que le vent solaire est bel est bien supersonique.

Figure 1. Données plasma à L1, mesurées par DSCOVR. Image tirée directement de « https://www.swpc.noaa.gov/products/real-time-solar-wind« 

Si l’on regarde le panneau du haut, on voit qu’une des grandeurs importantes dans vent solaire est le champ magnétique.

On peut comparer l’ordre de grandeur de l’énergie magnétique par unité de volume B^2 / 2 \mu_0 \sim 4 \cdot 10^{-11} \text{ J/m}^{3}, celui de l’énergie thermique \frac{3}{2} n k_B T \sim 4 \cdot 10^{-11} \text{ J/m}^{3} et celui de l’énergie cinétique \frac{1}{2}\rho v^2 \sim 3 \cdot 10^{-9} \text{ J/m}^{3}.

Le vent solaire est donc un plasma transportant majoritairement de l’énergie cinétique, mais également, à part relativement égales, de l’énergie thermique et magnétique. Ces calculs sont valables proches de la Terre.

Interaction avec les planètes

Puisque le vent solaire est supersonique, on s’attend à ce que son interaction avec les planètes mène à la formation de chocs. Non seulement c’est le cas, mais elle mène aussi à des environnements planétaires complexes et distincts de planète en planète. La Terre, par exemple, possède elle-même un fort champ magnétique, et son interaction avec le vent solaire mène à la formation de deux frontières : un choc (d’étrave) et une magnétopause. Entre la magnétopause et le choc d’étrave, on trouve la magnétogaine, qui est une zone de plasma turbulent et dense, et derrière la magnétopause, on trouve la magnétosphère, où les lignes de champ magnétiques sont attachées à la Terre.

Si l’on regarde à nouveau les données en temps réel décrivant le plasma du vent solaire, on se rend compte qu’il est très variable. Cette variabilité mène à des changements fréquents, et parfois importants, dans la structure des environnements planétaires. L’une des quantités rendues bien visibles (en rouge) est la composante verticale du champ magnétique : B_z. La raison pour laquelle cette quantité est particulièrement intéressante, c’est parce qu’elle a été identifiée, dès 1961 comme étant un des facteurs déterminants pour contrôler l’interaction vent solaire / magnétosphère. En effet, lorsque le champ magnétique interplanétaire possède une composante B_z négative, cette composante vient directement s’opposer au champ magnétique terrestre, menant à des conditions favorables pour ce que l’on appelle la reconnexion magnétique. La figure suivante est un schéma de ce qui se passe alors :

Figure 2 : Le cycle de Dungey. Image tirée de Yamada et al. 2010 et directement inspirée de Dungey 1961

La ligne de champ 1′ (qui ne se trouve alors que dans le vent solaire) vient se connecter à la ligne de champ 1 (qui n’est reliée qu’à la Terre). Elles deviennent alors les lignes de champ 2 et 2′, qui ont un pied dans le vent solaire et un sur Terre. Le vent solaire, qui se propage toujours, entraîne ces lignes de champ (3, 3′, 4, 4′, 5 et 5′) et les étire jusque derrière la Terre. Là, elles peuvent être poussées l’une contre l’autre (6 et 6′) jusqu’à éventuellement traverser un nouvel épisode de reconnexion magnétique (7 et 7′). Lors de cet épisode de reconnexion, des particules de plasma peuvent être accélérées et se propager le long de la ligne de champ 7, puis 8. Ainsi, des particules du vent solaire on pu pénétrer à l’intérieur de la magnétosphère et y déposer de l’énergie.

Ce processus complexe est, entre autres, à l’origine des aurores boréales, qui d’ailleurs n’existent pas que sur Terre.

File:Jupiter's Aurora.jpg - Wikimedia Commons
Figure 3 : Image capturée par le télescope Hubble. Credits: NASA, ESA, and J. Nichols (University of Leicester)

La reconnexion magnétique

Comme on l’a mentionné plus haut, lorsque des lignes de champ magnétique de polarité opposée sont poussées l’une contre l’autre, elles peuvent se « reconnecter ». L’énergie magnétique est ainsi efficacement convertie en énergie cinétique et thermique.

Figure 4 : Schéma du phénomène de reconnexion magnétique

Un des premiers modèles de la reconnexion magnétique, appelé le modèle de Sweet-Parker, permet de calculer le taux de reconnexion, c’est à dire une estimation de la vitesse à laquelle l’énergie magnétique est convertie en énergie pour les particules. La présentation sommaire du modèle ci-après utilise les notations usuelles en physique des plasmas. Aussi, un lecteur peu familier avec le domaine doit se sentir libre de sauter les équations et de passer directement à la conclusion.

Figure 5 : Schéma annoté du phénomène de reconnexion magnétique.

Les hypothèses faites dans ce modèle sont, d’une part, celles implicites dans la figure 4 : le modèle est 2D, la zone de reconnexion est assimilable à un rectangle de longueur 2L et de largeur 2\delta, le champ électrique est constant à l’intérieur, la reconnexion est symétrique…

D’autre part, celles nécessaires pour écrire les équations suivantes (qui sont des équations magnétohydrodynamiques) :

(3)   \begin{align*}E &= v_0 B_0 \ \ \ \ \ \ \ \ \text{(Loi d'Ohm idéale au bords de la zone de reconnexion)} \\E &= \eta j \ \ \ \ \ \ \ \ \text{(Loi d'Ohm résistive au cœur de la zone de reconnexion, où $\eta$ est la résistivité électrique)} \\j &= \frac{B_0}{\mu_0 \delta} \ \ \ \ \ \ \ \ \text{(Maxwell-Ampère)} \\\rho_0 &= \rho_1 \ \ \ \ \ \ \ \ \text{(Incompressibilité)} \\\rho_0 v_0 L &= \rho_1 v_1 \delta \ \ \ \ \ \ \ \ \text{(Conservation de la matière)} \\\frac{1}{2} \rho_1 v_1^2 &= P_{th} = \frac{B_0^2}{2 \mu_0} \ \ \ \ \ \ \ \ \text{(Théorème de Bernoulli et équilibre entre pression thermique et magnétique)} \end{align*}

Moyennant un peu d’algèbre, on peut calculer le taux de reconnexion, défini comme le rapport de la vitesse du plasma incident avec la vitesse d’Alfvén dans le plasma incident (v_A = \frac{B_0}{\sqrt{\rho_0 \mu_0}}):

(4)   \begin{equation*}\frac{v_0}{v_A} = \sqrt{\frac{\eta}{v_A \mu_0 L}}\end{equation*}

Dans le vent solaire, on peut estime \eta \sim 6 \cdot 10^{-5} \Omega.\text{m}, on peut faire l’hypothèse favorable que la zone de reconnexion s’étend le long de toute la partie jour de la magnétopause, soit L \sim 20 R_E, où R_E est le rayon de la Terre. Avec B_0 \sim 5 \text{ nT} et n_0 \sim 5 { ions/cm}^3, on estime v_A \sim 50 \text{ km/s}. On trouve alors un taux de reconnexion très faible :

(5)   \begin{equation*}\frac{v_0}{v_A} \sim 10^{-6}\end{equation*}

En réalité, le taux de reconnexion observé est proche de 0,1. Le modèle de Sweet-Parker, très utile pour appréhender la physique de la reconnexion magnétique, a des hypothèses très contraignantes qui ne permettent pas de bonnes prédictions numériques des taux de reconnexion.

La recherche en physique des plasmas spatiaux

De nombreux chercheurs s’intéressent au vent solaire lui-même. Par exemple, on peut se demander si et comment l’énergie passe d’un type à l’autre (par exemple, de magnétique à thermique, ou de thermique à cinétique). On peut s’intéresser aux caractéristiques variables du vent solaire : est-il lent ? rapide ? particulièrement chaud ? La question suivante est celle de l’origine de ces différents types de vent solaire : de quelle région solaire proviennent-ils ? Comment sont-ils formés ? Quels types d’ondes contient-il ?

On s’intéresse aussi à l’interaction entre le vent solaire et les différentes planètes :

En particulier avec la Terre, car cette interaction peut avoir des conséquences importantes pour certaines technologies humaines (GPS, lignes électriques, radio, …). Pendant longtemps, la grande question a été de trouver le ou les paramètres interplanétaires qui contrôlaient la force de l’interaction vent solaire / magnétosphère. On l’a vu, l’une des réponses est la valeur de B_z. Mais c’est une réponse trop simple pour refléter la réalité complexe de cette interaction. En particulier, elle ne permet d’expliquer (et encore) que la reconnexion de la ligne de champ 1′ avec la ligne de champ 2, dans la figure précédente. Qu’en est-t-il de la reconnexion entre 6 et 6′ ? D’autres types d’interactions ? Par exemple, sur les flancs de la magnétopause ? Il est plus commun, de nos jours, de s’intéresser à des classes de structures interplanétaires : ejections de masses coronales interplanétaires, nuages magnétiques, gaines, chocs, Corotation Interaction Region, et à leur impact sur l’environnement géomagnétique. Il y a au moins deux raisons à cela. D’une part car c’est une façon plus naturelle de s’intéresser à la complexité des interactions. D’autre part car l’on nourri l’espoir (et on recherche activement afin d’y parvenir) de pouvoir prédire leur apparition grâce à des images optiques du Soleil; ce qui nous laissera bien plus de temps pour prendre des mesures préventives sur Terre.

L‘interaction du vent solaire avec les autres planètes peut être très différente, car elles ont des propriétés bien différentes de celles de la Terre. Mercure, qui n’est pas magnétisée comme la Terre, est par exemple l’objet d’un programme de recherche autour de la mission BepiColombo, qui se placera en orbite de Mercure en 2025. De nos jours, nous avons des données plasmas provenant de satellites autour des diverses planètes et lunes du système solaire, associées à de nombreux mystères à résoudre.

La question de la reconnexion magnétique est une des questions importantes qui occupent les chercheurs en physique des plasmas spatiaux. D’ailleurs, elle n’occupe pas qu’eux, car c’est un phénomène fondamental en physique des plasmas, qu’on retrouvera tant dans les plasmas de fusion, que dans la recherche de l’origine des rayons cosmiques. Dans le système solaire, elle apparaît, on l’a vu, en deux endroits de l’interaction vent solaire / environnement géomagnétique terrestre; mais elle est aussi un des phénomènes à l’origine des éruptions solaires. Toutes les hypothèses faites dans le modèle de Sweet-Parker ci-dessus sont discutables et font l’objet de programmes de recherche : la reconnexion en 3D, la reconnexion asymétrique, les effets non-magnétohydrodynamiques, la reconnexion pour un plasma compressible, etc.

Ressources et contacts au sein de l’Institut Polytechnique de Paris

Les Plasmas Spatiaux au LPP (Laboratoire de Physique des Plasmas)
Les publications du LPP dans le thème « Space Plasmas »

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